Il m'est arrivé d'observer des équipes de travailleurs occupés dans la rue à reboucher quelques nids de poule. Parfois sans enthousiasme aucun quoique avec une conscience professionnelle certaine, qui avec la pelle, qui avec une raclette, qui poussant un bruyant rouleau compresseur. Ils ne savaient pas comment ma curiosité se trouvait avivée par les états de la matière qu'ils manipulaient. Au fil des observations, je constatais que les applications modernes des bitumineux reproduisent à l'échelle de la ville, toutes proportions gardées, le processus de création du monde : mimant la dynamique de superposition des strates géologiques, ils créent ainsi une part de la mémoire urbaine : mise en oeuvre au raz du sol dans une perspective exclusivement utilitaire, issue d'un matériau à priori sans grandeur, instable et rebutant à bien des égards... Présence sans présence... humble servante de la ville ? Pas tant. Car, si la ville est bien mouvement, renouvellement, juxtaposition et conglomérat, l'asphalte en devient l'un des symboles majeurs.

Or, parce que largement spiritualisée, la route, la rue est devenue un objet de la pensée. Aussi, lors des chantiers artistiques que je propose, je scie la rue. Je contredis les déterminismes politiques et sociaux qui président à la destinée des rues. Geste certes individuel, mais symboliquement citoyen, je mets debout la rue, à la disposition d'histoires nouvelles. Je la déstructure, la restructure. Je la sculpte, la triture, la scarifie en atelier. J'accumule en plein air les débris de chantier, je m'en empare... Je jette à la face des habitants cette matérialité oubliée... avec la complicité de mes partenaires, Monique Monteil, de Christian Chéry et de Thierry L'Etang